Microbiote et archées 
Archaeome

Le microbiome humain,
        ....un autre regard sur l’Homme

Depuis plus d'un siècle que les microbes / bactéries sont connus (travaux de Pasteur), on en retient généralement qu'il s'agit d'organismes vivants invisibles à l’œil nu, et dont certains sont de dangereux pathogènes : ils sont même parfois responsables des pires épidémies que l'on a pu éradiquer ou contre lesquelles nous sommes capables de lutter à l'aide de vaccinations et d'antibiotiques. Ceci ne donne qu'un aperçu succinct et partial de ces organismes. On en oublie à quel point ils comportent également de précieux auxiliaires du développement de l’humanité : ainsi, la « levure » (une cellule eucaryote, pas une bactérie) est certainement l’une des toutes premières espèces domestiquées par l’Homme : on lui doit le pain ou la bière, que nos ancètres semblent avoir fabriqué dès le néolithique, si ce n'est même avant, grâce à l'usage de ce microbe. 

Des microbes vivent également en étroite relation avec l'Homme (et les animaux d'une manière générale). Ils ont co-évolué avec nous, participent à notre biologie et forment donc une partie de ce qui nous constitue. On peut ainsi parler d'une véritable révolution conceptuelle de notre perception de ce qu'est l'Homme au cours de ces dernières années. Au cours de l'Histoire, nos connaissances nous ont amenés à reconsidérer notre place dans l'univers, souvent en se heurtant aux dogmes de toute sorte (et encore de nos jours!) : ainsi, l’Homme et sa planète ne sont pas au centre de l’univers et l'Homme est un produit de l’évolution qui partage un même ancêtre biologique avec d'autres primates comme avec... la levure de bière ou les bactéries.  Nous découvrons à présent que son propre corps abrite des microbes par milliards (le microbiome humain), commensaux et symbiotiques participant à sa propre physiologie et au bon fonctionnement de l'organisme. L’Homme est en fait un méta-organisme, constitué de ces propres cellules et de microbes, en quantité légèrement supérieures aux cellules « génétiquement » humaines. Des scientifiques n'hésitent plus à parler maintenant d'un organe de l'Homme oublié jusqu'à maintenant, à propos du microbiote intestinal humain.

Ainsi, l’être humain, supposé stérile à la naissance est progressivement colonisé par des microbes de toute nature, certains "formatés" par l'évolution pour vivre en son sein et terriblement adapté à cet environnement particulier. Ces microbes forment le microbiote de l'Homme, et selon leur localisation, on parle alors du microbiote de la peau, du microbiote intestinal, ... . Le mot "microbiote" remplace le terme ancien de « flore », terme justifié lorsqu'on croyait le monde biologique partagé entre 2 grands groupes, les animaux et végétaux (voir ici). Ce terme et cette classification n'ont plus lieu d'être.

Ces microbes colonisent toutes les parties de l'Homme en relation directe avec l'environnement extérieur, autrement dit, un bon nombre des épithéliums de revêtement de notre organisme.

Par exemple, la peau, les poumons,... abritent des microbes. La zone la plus colonisée reste le tube digestif humain… et en particulier l’intestin grêle et le côlon. Ce dernier forme un des microbiomes (dans l’acceptation écologue du terme) les plus denses de la planète.




Le microbiote évolue tout au long de la vie.


Cette image est tirée de nos travaux en collaboration avec Paul. W. O'Toole (article de Burkhardt Flemer et coll. publié en 2017. Elle montre les différences de microbiotes fécaux observés chez le rat de laboratoire à différents moments et étapes de leur vie. Trouvez plus d'informations ici (en anglais)


Archaeome, les archées présentes dans ces microbiotes: 

Microbes et microbiotes humains ne doivent pas être vus comme formés uniquement de bactéries. Les deux autres domaines du vivant (cellules eucaryotes et archées) ainsi que des virus en font également partis. Ces derniers y ont certainement un rôle régulateur de la constitution et de l'activité de ces microbiotes encore très mal connu. Ainsi, des archées sont connues depuis plus ou moins longtemps comme des membres autochtones du microbiote intestinal humain (et de nombreux autres animaux). Il s'agit en particulier d'archées méthanogènes (voir ici le prochain chapitre) auxquels nos travaux sont plus particulièrement dédiés (revus ici ). Cependant, les outils techniques utilisés actuellement (analyse de microbiomes par séquençage d'amplicon du marqueur 16S) masquent leur présence si ces organismes ne sont pas spécifiquement recherchés, ainsi que les outils d'analyses bioinformatiques et les bases de données employés.

Un certain nombre d'entre nous avait l'intuition que la diversité archéenne de ces microbiotes étaient sous-évaluées. Ces archées constituent l'archaeome (ou archéome), autrement dit la composante archéenne du microbiome. Depuis 2003, une partie de nos travaux a été dédiée à la recherche de la diversité des archées méthanogènes du microbiote intestinal. Ceci nous a amené à la mise en évidence d'un nouvel ordre taxonomique par nos travaux en 2008 et 2010), révélant également la présence de plusieurs nouvelles espèces archéennes méthanogènes dans le tractus intestinal de l'Homme. 

Cependant, aucune méthode globale de recherche des archées n'a été pour l'heure employée pour l'ensembles des microbiomes humains. Les travaux de Christine Moissl-Eichinger et coll. de l’Université Médicale de Graz, Autriche permettent dorénavant de disposer de premiers outils qui révèlent globablement la diversité archéenne: cette dernière semble s'avèrer bien plus importante qu'imaginée... L'image ci-contre est tirée du numéro du 24 novembre 2017 du magazine scientifique américain Science. Cet article de la journaliste scientifique Elizabeth Pennisi relate cette avancée parue initialement dans mBio (Koskinen et al, 2017) où, selon notre avis comme de celui d'Uri Gophna (université de  Tel-Aviv) et de Mark Pimentel (Los Angeles), des avancées futures sont à attendre : en effet, les premières données présentent une grande diversité archéenne avec de nombreux organismes totalement inconnus, et des fonctions biologiques importantes sont suspectées tant à l'intérieur du microbiote que vis-à-vis de l'hôte humain. Ceci concerne en particulier des Thaumarchées au niveau de la peau ainsi que certaines méthanogènes au niveau du tractus digestif. Quant à un rôle délétère possible de certaines archées méthanogènes dans le côlon, tel que le suspecte Mark Pimentel pour Methanobrevibacter smithii, il est trop tôt pour le dire : si des corrélations sont bel et bien mises en évidence entre temps de transit digestif et prévalence de cette archée, une relation de cause à effet où l'archée participerait à un ralentissement du temps de transit / à une constipation reste à démontrer. En effet, nos travaux semblent plutôt indiquer qu'il s'agit d'une conséquence plutôt que d'une cause directe (à titre d'exemple, voir nos travaux de 2017 dans J. Neurogastroenterol. Motil.). Il est tout à fait possible que nos 2 visions ne s'opposent pas, mais montrent 2 niveaux chronologiques différents dans l'implantation et le sur-développement de cette archée, et pourquoi pas, entrainerait des effets délétères pour la santé humaine. Ceci reste à déterminer.